Entre « petites » et « grandes » prépas HEC, une compétition faussée

Dans la cour de HEC, des petits groupes d’étudiants évoluent comme des poissons dans l’eau. Johan (qui n’a pas souhaité donner son nom de famille) les observe avec une forme de fascination. « Ça m’a vraiment marqué, voire obsédé à la rentrée : c’était la première fois que je voyais aussi clairement la reproduction sociale à l’œuvre », raconte le jeune homme de 21 ans. L’intégration des étudiants au sein de la plus grande école de management française passe par ces microrencontres, pendant lesquelles chacun présente d’où il vient : de quelle prépa, de quel grand lycée parisien… « Les gens se disent : “Ah tu viens de là, est-ce que tu connais untel ?” Mais toi tu viens d’une petite prépa, donc tu es de facto privé de ces conversations, et mis face à une réalité : il y a bien une élite française qui vit en circuit fermé. »
Johan ne vient pas seulement d’une « petite » prépa ; il est le seul de l’histoire de son établissement à avoir intégré la prestigieuse école de commerce. Une anomalie dans la « matrice » – le terme utilisé par les étudiants pour décrire l’esprit de corps de l’école. D’après les chiffres récoltés par L’Etudiant pour son classement annuel des prépas, la promotion de HEC de 2022 est composée à près de 70 % d’élèves issus des quinze mêmes lycées – en large majorité des grands établissements parisiens et versaillais. Et cette proportion varie peu au fil des ans. La présence d’étudiants comme Johan constitue donc un pied de nez à la loi des classements. Ou l’exception qui confirme la règle.
Comment expliquer cet état de fait ? Il existe, au total, plus de 200 classes préparatoires économiques et commerciales en voie générale (ECG) et technologique (ECT). Cela représentait 17 900 étudiants à la rentrée 2022. Bien que ces classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) soient réparties sur l’ensemble de la France, elles n’ont pas toutes la même notoriété, ni les mêmes résultats aux concours des écoles de management.
Chaque année, ces prépas sont, en effet, classées, par différents médias, en fonction du taux d’admission de leurs élèves dans les meilleures grandes écoles – elles-mêmes qualifiées de « meilleures » par d’autres classements. Les lycéens et leur famille – le « vivier » dans le jargon des professeurs de prépa – y sont très sensibles et privilégient les établissements les plus élevés dans ces classements.
La conséquence : un système à deux vitesses au sein même de cette filière élitiste de préparation aux concours. « Il y a une dictature du classement qui pénalise aussi bien les écoles qui sont en bas du tableau que les prépas de proximité », déplore Alain Joyeux, président de l’Association des professeurs des classes préparatoires économiques et commerciales (Aphec). De fait, sur les 24 écoles dont l’entrée se fait sur concours, la moitié n’ont pas atteint leur quota d’étudiants de prépa ECG en 2022, ouvrant leur porte à d’autres profils issus de formations moins sélectives.
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